Du à Ian FRAZIER, paru le 26 février 1990 
dans la revue "The New-Yorker", p. 42 - 43
traduit de l'anglais par JC BELLAMY

Cour générale des États-Unis
Zone sud-ouest - Tempe (Arizona
)

Cas N° B19294 jugé par Jeanne KUJAVA, Présidente

entre :
M. "Rusé E. Coyote" (dit "Vil Coyote")
(demandeur)
et :
la société "ACME"
(défendeur)

Déclaration d'ouverture de Maître Harold SCHOFF, avocat de M. Coyote :

Mon client, M. Vil Coyote, résidant de l'Arizona (et états limitrophes), intente par la présente un procès pour réparation à l'encontre de la Société ACME, fabricant et distributeur au détail de marchandises diverse, située dans l'état du Delaware et faisant des affaires dans tous les états, zones et territoires.
M. Coyote demande compensation pour un ensemble de blessures personnelles, de perte de revenus et de souffrances mentales, résultats directs des actions et négligences de la dite société, en application du Titre 15 du Code des États-Unis, Chapitre 47, section 2072, subdivision (a), concernant la responsabilité du fabricant.

M. Coyote fait état de quatre-vingt-cinq achats auprès de la Société ACME (ci-après nommée "le Défendeur"), acquis via le département de vente par correspondance de cette société. Certains produits relevant des défauts de fabrication ou un étiquetage incorrect (absence d'avertissement) lui ont causé d'importants dommages corporels. Les preuves d'achat des ventes concédées à M. Coyote sont à présent en possession de la Cour, dans l'annexe "A". Les blessures infligées à M. Coyote l'ont placé temporairement dans l'incapacité à gagner sa vie dans sa profession de prédateur. M. Coyote est travailleur indépendant et ne peut pas prétendre à une quelconque caisse de solidarité.

M. Coyote fait état que le 13 décembre il a reçu du Défendeur via son service de colis postaux un Traîneau-fusée ACME. L'intention de M. Coyote était d'utiliser le Traîneau-fusée pour l'aider dans la poursuite de sa proie. Dès réception du Traîneau-fusée, M. Coyote l'a déballé de sa caisse en bois et, apercevant sa proie au loin, a aussitôt activé l'allumage. Au moment où M. Coyote a saisi le guidon, le Traîneau-fusée a accéléré à un point tel qu'il a projeté les membres antérieurs de M. Coyote à une distance de cinquante pieds. Ensuite, une violente secousse a entraîné le reste du corps de M. Coyote, causant une tension sévère à son dos et à son cou, et le plaçant inopinément à califourchon sur le Traîneau-fusée
Disparaissant au-delà de l'horizon à une vitesse telle qu'il laissa une traînée de fumée persistante tout au long du chemin emprunté, le Traîneau-fusée amena bientôt M. Coyote à proximité de sa proie. À ce moment là, l'animal qu'il poursuivait a brusquement viré à droite. M. Coyote a vigoureusement essayé de suivre ce mouvement, mais en fut incapable, en raison d'une direction mal conçue du Traîneau-fusée et de son système de freinage défectueux ou inexistant. Ensuite, un déplacement incontrôlé du Traîneau-fusée provoqua une collision entre M. Coyote et le versant d'un plateau.

Paragraphe 1 du Rapport médical (annexe B), préparé par le Docteur Ernest GROSSCUP, (M.D., D.O.)

Ce rapport détaille les fractures multiples, contusions et dégâts corporels subis par M. Coyote suite à cette collision. Les blessures ont exigé un bandage intégral de la tête (excluant les oreilles), le port d'une minerve et le plâtrage des quatre membres.

Gêné par ses blessures, M. Coyote a été amené à trouver un moyen pour se déplacer. Pour cela, il a acheté au Défendeur, afin de recouvrer un peu de mobilité, une paire de Patins-fusées ACME. Lorsqu'il a essayé d'utiliser ce produit, il lui est arrivé un accident en tout point semblable à celui survenu avec le Traîneau-fusée. A nouveau, le Défendeur a vendu publiquement, sans aucun avertissement, un produit doté de moteurs à réaction trop puissants (dans le cas précis : deux) et inadaptés au véhicule, et sans  aucune sécurité pour les passagers. Gêné par ses plâtres, M. Coyote a perdu le contrôle des Patins-fusées et est entré en collision avec un panneau d'affichage sur le bord de la route si violemment qu'il a créé un trou ayant la forme intégrale de sa silhouette.

M. Coyote fait état qu'à de fréquentes reprises, trop nombreuses pour être inscrites dans ce document, il a subi des désagréments divers avec les explosifs achetés chez le Défendeur : p.ex. le pétard "le Petit Géant" ACME, la bombe aérienne auto-guidée ACME, etc. (Pour une description totale, se reporter au Catalogue des Explosifs de vente par correspondance de ACME, déposé comme pièce à conviction en annexe C.) 
En effet, il faut noter que ce n'est pas la première fois qu'un explosif du Défendeur acheté par M. Coyote fonctionne d'une manière inattendue

A titre d'exemple : 

Après avoir passé beaucoup de temps et avoir dépensé maints efforts personnels, M. Coyote a construit au bord d'une colline un toboggan en bois commençant au sommet de la butte et descendant en spirale jusqu'en bas, à quelques pieds au-dessus d'un "X" peint en noir sur le sol du désert. Le toboggan a été conçu de telle façon que l'explosif sphérique d'un modèle vendu par le Défendeur puisse rouler facilement et rapidement jusqu'au point d'impact figuré par le X. M. Coyote a disposé un important tas de graine pour oiseaux directement sur le X, puis, emportant avec lui la bombe sphérique ACME (article  #78-832 du catalogue), il est monté au sommet de la butte. La proie de M. Coyote, voyant la graine pour les oiseaux, s'est approchée et M. Coyote a allumé la mèche. En un instant, la mèche s'est consumée immédiatement, entraînant l'explosion de la bombe.

En plus de la destruction totale de la construction préparée par M. Coyote, l'explosion prématurée du produit du Défendeur a occasionné les dommages suivants sur la personne de M. Coyote :

  1. brûlure sévère des poils sur la tête, le cou et le museau.

  2. coloration noire de suie.

  3. fracture au cours du choc de l'oreille gauche à sa base, faisant pendre l'oreille en émettant un bruit grinçant.

  4. combustion totale ou partielle de poils, produisant entortillements, carbonisation et désintégration cendrée.

  5. élargissement important des yeux, du à la carbonisation des sourcils.

Nous en venons maintenant aux Chaussures à ressort ACME

Ce qui reste d'une paire d'entre elles achetées par M. Coyote le 23 juin constituent l'annexe D du Demandeur. Des fragments choisis ont été expédiés aux laboratoires métallurgiques de l'Université de la Californie à Santa Barbara pour analyse, mais jusqu'à présent aucune explication n'a été trouvée quant au dysfonctionnement soudain et extrême de ce produit. D'après la publicité du Défendeur, ce produit est la simplicité-même : deux sandales "bois et métal", fixées sur des ressorts en acier à haut coefficient de raideur et comprimés, bloqués par un dispositif de verrouillage et dotés d'un cordon de détente. 
M. Coyote a pensé que ce produit lui permettrait de sauter immédiatement sur sa proie au début de la poursuite, lorsque des réflexes  rapides priment sur tout le reste

Afin d'accroître la poussée des chaussures, M. Coyote les a fixées à la base sur un grand rocher, lequel était situé à proximité du chemin emprunté ordinairement par la proie de M. Coyote.
M. Coyote mit ses pieds postérieurs dans les sandales "bois et métal" et s'accroupit, sa patte de devant tenant fermement le cordon de détente. Peu de temps après, la proie de M. Coyote apparut sur le chemin, venant vers lui. Ne soupçonnant pas sa présence, la proie s'est arrêtée près de M. Coyote, à portée de ses ressorts comprimés. M. Coyote a évalué la distance avec soin et a tiré sur le cordon.

À ce moment-là, le produit du Défendeur aurait du pousser M. Coyote en avant loin du rocher. Au lieu de cela, pour des raisons encore inconnues, les Chaussures à ressort  ont poussé brusquement le rocher de M. Coyote. Alors que la proie regardait la scène, M. Coyote s'est retrouvé accroché au rocher et suspendu en air. Ensuite les ressorts se sont resserrés, entraînant une première collision violente entre les pieds de M. Coyote et le rocher, le poids total du rocher retombant sur ses extrémités postérieures.

La force de l'impact a alors provoqué un rebond des ressorts, projetant M. Coyote vers le ciel. Une deuxième compression et collision ont suivi. Pendant ce temps le rocher, de forme ovoïde, a commencé à rebondir en bas de la pente, le mouvement des ressorts augmentant sa vitesse. À chaque rebond, M. Coyote entrait en contact avec le rocher, puis le rocher entrait en contact avec M. Coyote, puis tous les deux entraient en contact avec le sol. Ce processus continua pendant un certain temps.

Cette séquence de collisions a causé des lésions à l'organisme de M. Coyote, à savoir aplatissement du crâne, déplacement oblique de la langue, réduction de longueur de ses pieds et de son thorax, ainsi que compression des vertèbres depuis la queue jusqu'à la tête. La répétition des coups le long d'un axe vertical a produit une série de plis réguliers horizontaux dans les tissus corporels de M. Coyote,  mettant M. Coyote dans une  condition rare et douloureuse, caractérisée par une suite d'élongations et de compressions verticales alternatives, lui faisant émettre à chaque pas une suite de fausses notes, telles celles produites par un accordéon désaccordé. La nature gênante et embarrassante de ces lésions a empêché  M. Coyote de suivre une vie sociale normale.

En conclusion :

Comme la Cour doit sans doute le savoir, le Défendeur a le quasi-monopole de fabrication et de vente de marchandises, nécessaires aux activités de M. Coyote. Nous affirmons que le Défendeur a fait usage d'une position dominante, au détriment du consommateur, quant à la vente de produits spécialisés tels que poil à gratter, cerfs-volants géantspièges à tigres birmans, enclumes et longues bandes de caoutchouc de deux cents pied de long. 
Comme il se méfie à présent des produits du Défendeur, M. Coyote n'a plus aucun autre fournisseur auprès duquel il puisse s'approvisionner. On peut seulement se demander ce que feraient dans une telle situation nos partenaires commerciaux en Europe de l'Ouest ou au Japon, alors qu'on permet à une société géante de transformer un client en victime, de la façon la plus insouciante et injustifiée, à maintes reprises.

M. Coyote demande avec respect que la Cour prenne en compte les implications économiques et fixe le montant des dommages et intérêts à dix-sept millions de dollars
De plus, M. Coyote estime les dégâts réels (repas manqués, dépenses médicales, jours perdus dans ses activités professionnelles) à un million de dollars, les dégâts généraux (cruauté mentale, atteinte à sa réputation) à vingt millions de dollars, et les honoraires d'avocat à sept cents cinquante mille dollars
Soit au total : trente huit millions sept cents cinquante mille dollars
En attribuant à M. Coyote la totalité de la somme, la Cour blâmera ainsi le Défendeur, son Conseil d'administration, ses dirigeants, ses actionnaires, ses héritiers et l'assignera à réparation, en une langue qu'il comprendra, et réaffirmera alors le droit du prédateur individuel en le mettant sous la protection de la Loi.