François Rabelais est né vers 1494 à Chinon, sous le règne de Charles VIII.  Il suit des études chez les moine de l'Abbaye de Seuilly, où il reçoit un enseignement inadapté, qui suscitera chez lui le désir d'une éducation moderne. En 1520 au couvent du Puy St Martin, il se lie d'amitié avec un moine, Pierre Amy, qui lui procure des textes grecs, ce qui est très mal vu par la hiérarchie, laquelle lui confisque ces livres. Rabelais quitte alors cet ordre sombré dans l'obscurantisme, puis se met à voyager. A 26 ans il rencontre Guillaume Budé, un grand humaniste.
Il va fréquenter les Universités de Bordeaux, Toulouse, Montpellier, et Lyon, ville où il sera nommé médecin à l'Hôtel-Dieu.
Le 3 novembre 1532 il publie son 1er roman Pantagruel, roy des Dipsodes sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier, abstracteur  de Quinte Essence. En 1534, il écrit La vie très horrificque du Grand Gargantua, père de Pantagruel. Il voyage plusieurs fois en Italie, où il rencontre Clément Marot. Le Pape l'absout de l'abandon de la bure et lui permet d'entrer au monastère de St Maur des Fossés.  Il côtoie Etienne Dolet (qui sera pendu et brûlé en 1546)  et Pierre Ronsard.
La Sorbonne condamne ses oeuvres, mais il obtient un privilège royal pour publier le Tiers Livre en 1546. 3 ans plus tard parait le Quart Livre
Il meurt le 9 avril 1553, après avoir résigné les 2 cures qu'il avaient à St Martin de Meudon et St Christophe du Jambert. Ce n'est qu'en 1564, donc après sa mort, que parait le Cinquième et dernier Livre de Rabelais.

Rabelais que nul ne comprit
Il berce Adam pour qu'il s'endorme
Et son éclat de rire énorme
Est un des gouffres de l'esprit.

Victor HUGO

Résumé succinct de l'œuvre de Rabelais :

  1. Gargantua
    Tout commence par la naissance  peu ordinaire (par l'oreille) du géant Gargantua, fils de Grandgousier et de Gargamelle. Son éducation est confiée au départ à des sophistes pédants, puis à des précepteurs éclairés. Ensuite éclate une guerre, sous un prétexte futile, avec le roi Picrochole (= le bilieux). Après la victoire de Grandgousier, Frère Jean des Entommeures reçoit en récompense l'Abbaye de Thélème, célèbre par la devise de ses membres "Fais ce que tu voudras"

  2. Pantagruel
    C'est sensiblement la même histoire que dans Gargantua, mais transposée d'une génération. C'est dans ce livre qu'on trouve la merveilleuse maxime, et toujours d'actualité, "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.." . Pantagruel rencontre Panurge qui sera son ami pour la vie. Une guerre a lieu contre les Dipsodes (=assoiffés), dont Gargantua et Pantagruel sortent vainqueurs.

  3. Le Tiers Livre
    Panurge y occupe le rôle central. Il hésite à prendre femme ou non, et après avoir interrogé en vain Virgile, Les Songes, le poète Raminagrobis,...il se décide d'aller consulter l'Oracle de la Dive Bouteille.

  4. Le Quart Livre
    C'est l'Odyssée maritime des héros à la recherche de l'Oracle. On peut y lire le fameux épisode des moutons de Panurge. Rabelais y fustige au passage certains corps constitués et religions.

  5. Le Cinquième Livre
    A mon humble avis, le livre le plus important, et généralement le plus contesté car le plus incompris! Ce récit est celui d'une véritable quête  initiatique, au cours de laquelle les héros sont reçus dans le Temple de la Dive Bouteille et où le Mot Sacré leur est communiqué. 

Il existe 2 façons de lire cette oeuvre magnifique :

Gargantua 

(chap.50) La harangue que fit Gargantua aux vaincus

[...]
Ne voulant donc en aucun cas manquer à la débonnaireté héréditaire de mes parents, à présent je vous pardonne et vous délivre, je vous laisse aller francs et libres comme avant. De plus, en franchissant les portes, chacun d’entre vous sera payé pour trois mois, afin que vous puissiez rentrer dans vos foyers, au sein de vos familles. Six cents hommes d’armes et huit mille fantassins vous conduiront en sûreté, sous le commandement de mon écuyer Alexandre, pour éviter que vous ne soyez malmenés par les paysans. Que Dieu soit avec vous! Je regrette de tout mon cœur que Picrochole ne soit pas ici, car je lui aurais fait comprendre que cette guerre s’était faite en dépit de ma volonté et sans que j’eusse espoir d’accroître mes biens ou ma renommée. Mais puisqu’il a disparu et qu’on ne sait où ni comment il s’est évanoui, je tiens à ce que son royaume revienne intégralement à son fils; comme celui-ci est d’un âge trop tendre (il n’a pas encore cinq ans révolus), il sera dirigé et formé par les anciens princes et les gens de science du royaume. Et, puisqu’un royaume ainsi décapité serait facilement conduit à la ruine si l’on ne réfrénait la convoitise et la cupidité de ses administrateurs, j’ordonne et veux que Ponocrates soit intendant de tous les gouverneurs, qu’il y ait l’autorité nécessaire et qu’il veille sur l’enfant tant qu’il ne le jugera pas capable de gouverner et de régner par lui-même. 

(chap. 54) L’inscription mise sur la grande porte de Thélème. 

Ici n’entrez pas, hypocrites, bigots, 
Vieux matagots, marmiteux, boursouflés, 
Torcols, badauds, plus que n’étaient les Goths,
Ou les Ostrogoths, précurseurs des magots, 
Porteurs de haires, cagots, cafards empantouflés. 
Gueux emmitouflés, frappards écorniflés, 
Bafoués, enflés, qui allumez les fureurs; 
Filez ailleurs vendre vos erreurs.

Ces erreurs de méchants 
Empliraient mes champs 
De méchanceté 
Et par fausseté 
Troubleraient mes chants, 
Ces erreurs de méchants.

Ici n’entrez pas, juristes mâchefoins, 
Clercs, basochiens, qui le peuple mangez, 
Juges d’officialité, scribes et pharisiens, 
Juges anciens qui les bons paroissiens
Ainsi que des chiens jetez au charnier; 
Votre salaire est au gibet. 
Allez-y braire; ici, il n’y a nul excès 
Qui puisse en vos cours susciter un procès.

Pour procès et débats, 
Il n’y a guère de lieu d’ébat 
Ici où l’on vient s’ébattre; 
Pour votre soûl débattre, 
Puissiez-vous avoir plein cabas 
De procès et débats.

[...]

(chap.57) Comment était réglé le mode de vie des Thélémites. 

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause : 

FAIS CE QUE TU VOUDRAS,

parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. 

Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons ce qu’on nous refuse. Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d’efforts pour faire tous ce qu’ils voyaient plaire à un seul. Si l’un ou l’une d’entre eux disait : " buvons", tous buvaient ; si on disait : "jouons", tous jouaient ; si on disait : "allons nous ébattre aux champs", tous y allaient. Si c’était pour chasser au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fier palefroi, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon ; les hommes portaient les autres oiseaux. Ils étaient si bien éduqués qu’il n’y avait aucun ou aucune d'entre eux qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pour composer en vers aussi bien qu’en prose. 
Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habiles à pied comme à cheval, si vigoureux, si vifs et maniant si bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames si élégantes, si mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l’aiguille et à s’adonner à toute activité convenant à une femme noble et libre, que celles qui étaient là. 
Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l’abbaye d’en sortir, soit à la demande de ses parents, soit pour d’autres motifs, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l’avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s’ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l’amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans le mariage; leur amour mutuel était aussi fort à la fin de leurs jours qu’aux premiers temps de leurs noces.

Pantagruel 

(chap.8) Comment Pantagruel reçut de son père Gargantua une lettre dont voici la copie

[...]
C’est pourquoi, mon fils, je t’engage à employer ta jeunesse à bien progresser en savoir et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon : l’un par un enseignement vivant et oral, l’autre par de louables exemples peuvent te former. J’entends et je veux que tu apprennes parfaitement les langues : premièrement le grec, comme le veut 0uintilien; deuxièmement le latin; puis l’hébreu pour l’Écriture sainte, le chaldéen et l’arabe pour la même raison; et que tu formes ton style sur celui de Platon pour le grec, sur celui de Cicéron pour le latin. 
Qu’il n’y ait pas d’étude scientifique que tu ne gardes présente en ta mémoire et pour cela tu t’aideras de l’Encyclopédie universelle des auteurs qui s’en sont occupés. 
Des arts libéraux : géométrie, arithmétique et musique, je t’en ai donné le goût quand tu étais encore jeune, à cinq ou six ans; continue. 
De l’astronomie, apprends toutes les règles, mais laisse-moi l’astrologie et l’art de Lullius comme autant d’abus et de futilités. 
Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes, et que tu me les mettes en parallèle avec la philosophie. Et quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t’y donnes avec soin : qu il n’y ait mer, rivière, ni source dont tu ignores les poissons; tous les oiseaux du ciel, tous les arbres, arbustes, et les buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tous les pays de l’Orient et du midi, que rien ne te soit inconnu.
Puis relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les Talmudistes et les Cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une connaissance parfaite de l’autre monde qu’est l’homme
Et quelques heures par jour commence à lire l’Écriture sainte : d’abord le Nouveau Testament et les Épîtres des apôtres, écrits en grec, puis l’Ancien Testament, écrit en hébreu. 
En somme, que je voie en toi un abîme de science car, maintenant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra quitter la tranquillité et le repos de l’étude pour apprendre la chevalerie et les armes afin de défendre ma maison, et de secourir nos amis dans toutes leurs difficultés causées par les assauts des malfaiteurs. Et je veux que, bientôt, tu mesures tes progrès; cela, tu ne pourras pas mieux le paire qu’en soutenant des discussions publiques, sur tous les sujets, envers et contre tous, et qu’en fréquentant les gens lettrés tant à Paris qu’ailleurs. 
Mais – parce que, selon le sage Salomon

Sagesse n’entre pas en âme malveillante et que 
Science sans Conscience n’est que ruine de l’âme
 

- tu dois servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir; et par une foi nourrie de charité, tu dois être uni à lui, en sorte que tu n’en sois jamais séparé par le péché. 
Méfie-toi des abus du monde; ne prends pas à cour les futilités, car cette vie est transitoire, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable pour tes prochains, et aime-les comme toi-même. Révère tes précepteurs. Fuis la compagnie de ceux à qui tu ne veux pas ressembler, et ne reçois pas en vain les grâces que Dieu t’a données. Et, quand tu t’apercevras que tu as acquis tout le savoir humain, reviens vers moi, afin que je te voie et que je te donne ma bénédiction avant de mourir. 
Mon fils, que la paix et la grâce de Notre Seigneur soient avec toi. Amen. 
D’ Utopie, ce dix-sept mars, Ton père, Gargantua.