Robert BADINTER est né le 30 mars 1928. Professeur émérite d'université, ancien Ministre (Garde des Sceaux) et ancien Président du Conseil Constitutionnel, il a été élu le 2 octobre 1995 sénateur des Hauts-de-Seine (Membre du Groupe Socialiste) 

Il est membre de la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale .Il est également membre de la Délégation parlementaire pour l'Union européenne, membre titulaire de l' Office parlementaire d'évaluation de la législation et membre de la Commission consultative des archives audiovisuelles de la justice. 

Le point fort de son action militante fut son combat pour l'abolition de la peine de mort en France, qu'il put enfin concrétiser lors d'un débat à l'Assemblée Nationale devenu célèbre, le 17 septembre 1981.

En 1998, il eut  la responsabilité de la commémoration du Cinquantenaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

L'intervention du 17 septembre 1981 à l'Assemblée nationale

Le texte intégral du discours est disponible sur le site :
http://iep.univ-lyon2.fr/PdM/National/France/an-debats2.html

"Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur au nom du Gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France.
[...]
La France est grande parce qu'elle a été la première en Europe à abolir la torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s'exclamaient à l'époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que, sans la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats. La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l'esclavage *, ce crime qui déshonore encore l'humanité.
Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d'efforts courageux l'un des derniers pays, presque le dernier - et je baisse la voix pour le dire - en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort.
Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous.
Ce n'est pas la faute du génie national. C'est de France, c'est de cette enceinte souvent, que se sont levées les plus grandes voix, celles qui ont résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui ont soutenu, avec le plus d'éloquence la cause de l'abolition. Vous avez, fort justement, monsieur Forni, rappelé Hugo, j'y ajouterai, parmi les écrivains, Camus. Comment, dans cette enceinte, ne pas penser aussi à Gambetta, à Clemenceau et surtout au grand Jaurès ? Tous se sont levés. Tous ont soutenu la cause de l'abolition. Alors pourquoi le silence a-t-il persisté et pourquoi n'avons-nous pas aboli ?
[...]
J'ai rappelé 1791, la première Constituante, la grande Constituante. Certes elle n'a pas aboli, mais elle a posé la question, audace prodigieuse en Europe à cette époque. Elle a réduit le champ de la peine de mort plus que partout ailleurs en Europe. La première assemblée républicaine que la France ait connue, la grande Convention, le 4 brumaire an IV de la République, a proclamé que la peine de mort était abolie en France à dater de l'instant où la paix générale serait rétablie.
La paix fut rétablie mais avec elle Bonaparte arriva. Et la peine de mort s'inscrivit dans le code pénal qui est encore le nôtre, plus pour longtemps, il est vrai.
Mais suivons les élans.
La Révolution de 1830 a engendré, en 1832, la généralisation des circonstances atténuantes ; le nombre des condamnations à mort diminue aussitôt de moitié.
La Révolution de 1848 entraîna l'abolition de la peine de mort en matière politique que la France ne remettra plus en cause jusqu'à la guerre de 1939.
Il faudra attendre ensuite qu'une majorité de gauche soit établie au centre de la vie politique française, dans les années qui suivent 1900, pour que soit à nouveau soumise aux représentants du peuple la question de l'abolition. C'est alors qu'ici même s'affrontèrent dans un débat dont l'histoire de l'éloquence conserve pieusement le souvenir vivant, et Barrès et Jaurès.
Jaurès - que je salue en votre nom à tous - a été, de tous les orateurs de la gauche, de tous les socialistes, celui qui a mené le plus haut, le plus loin, le plus noblement l'éloquence du cœur et l'éloquence de la raison, celui qui a servi, comme personne, le socialisme, la liberté et l'abolition.
[...]
Messieurs, j'ai salué Barrés en dépit de l'éloignement de nos conceptions sur ce point ; je n'ai pas besoin d'insister.
Mais je dois rappeler, puisque, à l'évidence, sa parole n'est pas éteinte en vous, la phrase que prononça Jaurès : "La peine de mort est contraire à ce que l'humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêve de plus noble. Elle est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution."
 En 1908, Briand, à son tour, entreprit de demander à la Chambre l'abolition. Curieusement, il ne le fit pas en usant de son éloquence. Il s'efforça de convaincre en représentant à la Chambre une donnée très simple, que l'expérience récente - de l'école positiviste - venait de mettre en lumière.
 Il fit observer en effet que par suite du tempérament divers des Présidents de la République, qui se sont succédé à cette époque de grande stabilité sociale et économique, la pratique de la peine de mort avait singulièrement évolué pendant deux fois dix ans : 1888-1897, les Présidents faisaient exécuter ; 1898-1907, les Présidents - Loubet, Fallières - abhorraient la peine de mort et, par conséquent, accordaient systématiquement la grâce. Les données étaient claires : dans la première période où l'on pratique l'exécution : 3 066 homicides ; dans la seconde période, où la douceur des hommes fait qu'ils y répugnent et que la peine de mort disparaît de la pratique répressive : 1 068 homicides, près de la moitié.
Telle est la raison pour laquelle Briand, au-delà même des principes, vint demander à la Chambre d'abolir la peine de mort qui, la France venait ainsi de le mesurer, n'était pas dissuasive.
Il se trouva qu'une partie de la presse entreprit aussitôt une campagne très violente contre les abolitionnistes. Il se trouva qu'une partie de la Chambre n'eut point le courage d'aller vers les sommets que lui montrait Briand. C'est ainsi que la peine de mort demeura en 1908 dans notre droit et dans notre pratique.
Depuis lors - soixante-quinze ans - jamais, une assemblée parlementaire n'a été saisie d'une demande de suppression de la peine de mort.
[...]
C'est seulement après ces épreuves historiques qu'en vérité pouvait être soumise à votre assemblée la grande question de l'abolition. Je n'irai pas plus loin dans l'interrogation - M. Forni l'a fait - mais pourquoi, au cours de la dernière législature, les gouvernements n'ont-ils pas voulu que votre assemblée soit saisie de l'abolition alors que la commission des lois et tant d'entre vous, avec courage, réclamaient ce débat ? Certains membres du gouvernement - et non des moindres - s'étaient déclarés, a titre personnel, partisans de l'abolition mais on avait le sentiment à entendre ceux qui avaient la responsabilité de la proposer, que, dans ce domaine, il était, là encore, urgent d'attendre. Attendre, après deux cents ans ! Attendre, comme si la peine de mort ou la guillotine était un fruit qu'on devrait laisser mûrir avant de le cueillir ! Attendre ? Nous savons bien en vérité que la cause était la crainte de l'opinion publique. D'ailleurs, certains vous diront, mesdames, messieurs les députés, qu'en votant l'abolition vous méconnaîtriez les règles de la démocratie parce que vous ignoreriez l'opinion publique. Il n'en est rien. Nul plus que vous, à l'instant du vote sur l'abolition, ne respectera la loi fondamentale de la démocratie. Je me réfère non pas seulement à cette conception selon laquelle le Parlement est, suivant l'image employée par un grand Anglais, un phare qui ouvre la voie de l'ombre pour le pays, mais simplement à la loi fondamentale de la démocratie qui est la volonté du suffrage universel et, pour les élus, le respect du suffrage universel. Or, à deux reprises, la question a été directement - j'y insiste - posée devant l'opinion publique. Le Président de la République a fait connaître à tous, non seulement son sentiment personnel, son aversion pour la peine de mort, mais aussi, très clairement, sa volonté de demander au Gouvernement de saisir le Parlement d'une demande d'abolition, s'il était élu. Le pays lui a répondu : oui. Il y a eu ensuite des élections législatives. Au cours de la campagne électorale. il n'est pas un des partis de gauche qui n'ait fait figurer publiquement dans son programme...
[...]
Je rappelle à l'Assemblée - mais en vérité ai-je besoin de le faire ? - que le Général de Gaulle, fondateur de la Vème République, n'a pas voulu que les questions de société ou, si l'on préfère, les questions de morale soient tranchées par la procédure référendaire. Je n'ai pas besoin non plus de vous rappeler, mesdames, messieurs les députés, que la sanction pénale de l'avortement aussi bien que de la peine de mort se trouvent inscrites dans les lois pénales qui, aux termes de la Constitution, relèvent de votre seul pouvoir. Par conséquent, prétendre s'en rapporter à un référendum, ne vouloir répondre que par un référendum, c'est méconnaître délibérément à la fois l'esprit et la lettre de la Constitution et c'est, par une fausse habileté, refuser de se prononcer publiquement par peur de l'opinion publique.
[...]
En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles.
Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n'hésitent pas devant la mort. D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas non plus. C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact.
[...]
Partout, dans le monde, et sans aucune exception, où triomphent la dictature et le mépris des droits de l'homme, partout vous y trouvez inscrite, en caractères sanglants, la peine de mort.
Voici la première évidence : dans les pays de liberté l'abolition est presque partout la règle ; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée.
Ce partage du monde ne résulte pas d'une simple coïncidence, mais exprime une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l'État a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes totalitaires.
C'est par là même que vous retrouvez, dans la réalité judiciaire, et jusque dans celle qu'évoquait Raymond Forni, la vraie signification de la peine de mort. Dans la réalité judiciaire, qu'est-ce que la peine de mort? Ce sont douze hommes et femmes, deux jours d'audience, l'impossibilité d'aller jusqu'au fond des choses et le droit, ou le devoir, terrible, de trancher, en quelques quarts d'heure, parfois quelques minutes, le problème si difficile de la culpabilité, et, au-delà, de décider de la vie ou de la mort d'un autre être. Douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire : celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis : cette conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté, précisément pour ce qu'elle comporte de signification totalitaire.
[...]
Mais lorsqu'on a dépouillé le problème de son aspect passionnel et qu'on veut aller jusqu'au bout de la lucidité, on constate que le choix entre le maintien et l'abolition de la peine de mort, c'est, en définitive, pour une société et pour chacun d'entre nous, un choix moral.
Je ne ferai pas usage de l'argument d'autorité, car ce serait malvenu au Parlement, et trop facile dans cette enceinte. Mais on ne peut pas ne pas relever que, dans les dernières années, se sont prononcés hautement contre la peine de mort, l'église catholique de France, le conseil de l'église réformée et le rabbinat. Comment ne pas souligner que toutes les grandes associations internationales qui militent de par le monde pour la défense des libertés et des droits de l'homme - Amnesty international, l'Association internationale des droits de l'homme, la Ligue des droits de l'homme - ont fait campagne pour que vienne l'abolition de la peine de mort.
[...]
Enfoui, terré, au cœur même de la justice d'élimination, veille le racisme secret. Si, en 1972, la Cour suprême des États-Unis a penché vers l'abolition, c'est essentiellement parce qu'elle avait constaté que 60 p. 100 des condamnés à mort étaient des noirs, alors qu'ils ne représentaient que 12 p. 100 de la population. Et pour un homme de justice, quel vertige ! je baisse la voix et je me tourne vers vous tous pour rappeler qu'en France même, sur trente-six condamnations à mort définitives prononcées depuis 1945, on compte neuf étrangers, soit 25 p. 100, alors qu'ils ne représentent que 8 p. 100 de la population ; parmi eux cinq Maghrébins, alors qu'ils ne représentent que 2 p. 100 de la population. Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C'est une interrogation, ce n'est qu'une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l'abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté.
[...]
Et je ne parle pas seulement de l'erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent et qu'une société entière - c'est-à-dire nous tous - au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient ainsi collectivement coupable puisque sa justice rend possible l'injustice suprême. Je parle aussi de l'incertitude et de la contradiction des décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme, sont de nouveau jugés et, bien qu'il s'agisse des mêmes faits, échappent, cette fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d'un homme se jouait au hasard d'une erreur de plume d'un greffier. Ou bien tels condamnés, pour des crimes moindres, seront exécutés, alors que d'autres. plus coupables, sauveront leur tête à la faveur de la passion de l'audience, du climat ou de l'emportement de tel ou tel.
[...]
Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu'elle est pour nous l'anti-justice, parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité.
[...]
La peine de mort est un supplice, et l'on ne remplace pas un supplice par un autre.
[...]
Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus pour notre honte commune, des exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. A cet instant, j'ai le sentiment d'assumer, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, le mot de ministère c'est le service, j'ai le sentiment de l'assumer. Demain, c'est l'abolition. Législateurs français, de tout mon cœur, je vous remercie."

Phrases prononcées en 1998 à l'occasion du 50ème anniversaire
de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme

Les Droits de l'homme d'abord ça se défend pour les autres
Voici une histoire. Un homme raconte :

"Les policiers nazis ont d'abord arrêté les communistes. Comme je n'étais pas communiste, je n'ai rien fait. Puis ils ont arrêté les socialistes. Je n'étais pas socialiste alors je n'ai pas bougé. Puis les syndicalistes. Je n'étais pas syndicaliste. Ensuite les juifs, je n'étais pas juif et puis les protestants, je n'étais pas protestant, je n'ai toujours rien fait. Enfin, un jour, ils ont frappé à ma porte. J'ai cherché autour de moi de l'aide mais j'étais tout seul."

Ce qui est insupportable c'est de ne pas mettre ses actes en conformité avec ses convictions. C'est très difficile mais il n'y a que ça..

Les droits de l'Homme sont universels parce que tous les êtres humains ont des droits fondamentaux que l'on ne peut nier sous peine de nier l'Humanité elle-même. Partout, on doit respecter l'intégrité de la personne humaine, partout, les êtres humains ont le droit de ne pas être torturés, tués, mutilés, de ne pas être réduits en esclavage, de recevoir des soins, d'avoir accès à l'éducation, à la culture, partout, les êtres humains doivent pouvoir penser et s'exprimer librement...

(Remarque JCB) : L'esclavage avait été aboli par la Convention le 16 Pluviôse An II (4 février 1794). Or l'individu immonde qu'était  Bonaparte, par décret du 30 Floréal An X (20 mai 1802), a rétabli l'esclavage et même rendu la traite des Noirs LÉGALE !!! Il faudra attendre le 27 avril 1848 (2ème République) et Victor SCHOELCHER pour que l'esclavage soit enfin aboli en France.(retour)