VOLTAIRE, de son vrai nom François Marie AROUET, est né en 1694 à Paris d'un père notaire, dans une famille de commerçants jansénistes. Il a fait ses études  chez les jésuites du collège de Clermont (aujourd'hui  le lycée Louis-le-Grand).

Ses écrits jugés insolents envers le Régent l'envoient à la Bastille pour un an en 1717. Il y retourne quelques années plus tard, suite à une querelle avec le chevalier de ROHAN-CHABOT. Il s'exile à Londres de 1726 à 1729. Esprit contestataire, il fait une satire des mœurs françaises (Les lettres philosophiques), dénonce les injustices sociales dans un conte philosophique (Zadig).
Il est admis à l'Académie Française en 1746. En 1750 il est invité par Frédéric de Prusse à Postdam, où il écrit un autre conte philosophique (Micromégas). En 1759 il se retire à Ferney, où il écrit ses oeuvres maîtresses (Candide, Traité sur la Tolérance, Dictionnaire philosophique, ..).
Son combat pour la Liberté l'amène à défendre activement Calas, La Barre, Lally, ce qui lui vaut une immense popularité chez la bourgeoisie. Toujours animé d'un profond  attachement à la Liberté, la Justice et la Tolérance, il meurt à Paris 1778.

Tolérance

Qu’est-ce que la tolérance? c’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs; pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature.

Qu’à la bourse d’Amsterdam, de Londres, ou de Surate, ou de Bassora, le guèbre, le banian, le juif, le mahométan, le déicole chinois, le bramin, le chrétien grec, le chrétien romain, le chrétien protestant, le chrétien quaker, trafiquent ensemble, ils ne lèveront pas le poignard les uns sur les autres pour gagner des âmes à leur religion. Pourquoi donc nous sommes-nous égorgés presque sans interruption depuis le premier concile de Nicée?
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Il est clair que tout particulier qui persécute un homme, son frère, parce qu’il n’est pas de son opinion, est un monstre; cela ne souffre pas de difficulté: mais le gouvernement, mais les magistrats, mais les princes, comment en useront-ils envers ceux qui ont un autre culte que le leur? Si ce sont des étrangers puissants, il est certain qu’un prince fera alliance avec eux. François Ier très chrétien s’unira avec les musulmans contre Charles-Quint très catholique. François Ier donnera de l’argent aux luthériens d’Allemagne pour les soutenir dans leur révolte contre l’empereur; mais il commencera, selon l’usage, par faire brûler les luthériens chez lui. Il les paye en Saxe par politique; il les brûle par politique à Paris. Mais qu’arrivera-t-il? Les persécutions font des prosélytes; bientôt la France sera pleine de nouveaux protestants: d’abord ils se laisseront pendre, et puis ils pendront à leur tour. Il y aura des guerres civiles, puis viendra la Saint-Barthélemy; et ce coin du monde sera pire que tout ce que les anciens et les modernes ont jamais dit de l’enfer.
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Cette horrible discorde, qui dure depuis tant de siècles, est une leçon bien frappante que nous devons mutuellement nous pardonner nos erreurs; la discorde est le grand mal du genre humain, et la tolérance en est le seul remède.
Il n’y a personne qui ne convienne de cette vérité, soit qu’il médite de sang-froid dans son cabinet, soit qu’il examine paisiblement la vérité avec ses amis. Pourquoi donc les mêmes hommes qui admettent en particulier l’indulgence, la bienfaisance, la justice, s’élèvent-ils en public avec tant de fureur contre ces vertus? Pourquoi? c’est que leur intérêt est leur dieu, c’est qu’ils sacrifient tout à ce monstre qu’ils adorent.

Fanatisme

Comptons maintenant les milliers d’esclaves que le fanatisme a faits, soit en Asie, où l’incirconcision était une tache d’infamie; soit en Afrique, où le nom de chrétien était un crime; soit en Amérique, ou le prétexte du baptême étouffa l’humanité. Comptons les milliers d’hommes que l’on a vus périr ou sur les échafauds dans les siècles de persécution, ou dans les guerres civiles par la main de leurs concitoyens, ou de leurs propres mains par des macérations excessives. Parcourons la surface de la Terre, et après avoir vu d’un coup d’œil tant d’étendards déployés au nom de la religion, en Espagne contre les Maures, en France contre les Turcs, en Hongrie contre les Tartares; tant d’ordres militaires, fondés pour convertir les infidèles à coups d’épée, s’entr’égorger aux pieds de l’autel qu’ils devaient défendre, détournons nos regards de ce tribunal affreux élevé sur le corps des innocents et des malheureux pour juger les vivants comme Dieu jugera les morts, mais avec une balance bien différente.

En un mot, toutes les horreurs de quinze siècles renouvelées plusieurs fois dans un seul, des peuples sans défense égorgés aux pieds des autels, des rois poignardés ou empoisonnés, un vaste État réduit à sa moitié par ses propres citoyens, la nation la plus belliqueuse et la plus pacifique divisée d’avec elle-même, le glaive tiré entre le fils et le père, des usurpateurs, des tyrans, des bourreaux, des parricides et des sacrilèges, violant toutes les conventions divines et humaines par esprit de religion: voilà l’histoire du fanatisme et ses exploits.
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Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde: mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.
Il y a des fanatiques de sang-froid: ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.

Morale

La morale n’est point dans la superstition, elle n’est point dans les cérémonies, elle n’a rien de commun avec les dogmes. On ne peut trop répéter que tous les dogmes sont différents, et que la morale est la même chez tous les hommes qui font usage de leur raison. La morale vient donc de Dieu comme la lumière. Nos superstitions ne sont que ténèbres. Lecteur, réfléchissez: étendez cette vérité; tirez vos conséquences.